Lorsqu’en classe de seconde (en 2004), il fallut choisir son orientation, il y avait ceux qui savait exactement ce qu’ils voulaient faire comme études supérieures, exercer comme métier, pour qui la question ne se posait pas vraiment, il suffisait pour eux de se tenir au rétro-planning de la réussite parfaite de leur objectif et la filière qu’ils devaient choisir était toute donnée.
Il y avaient ceux qui n’avaient pas vraiment le choix et sélectionnaient la filière où l’on voudrait bien d’eux, compte tenu de leurs résultats.
Il y avait ceux qui avaient un vif intérêt pour un type de matières et faisaient le vœu de la filière qui pourrait le plus satisfaire leur curiosité intellectuelle. A cela j’associe volontiers ceux qui faisaient un choix similaire avec des motivations autres, telles que la charge de travail, la sociologie des classes, etc.
Il y avait ceux qui ne savaient pas vraiment quoi choisir, à qui, au vu de leurs capacités à pouvoir se débrouiller un peu partout, on conseillait vivement la filière scientifique, en leur assurant qu’après le bac ils pourraient choisir ce qu’ils voudraient sans jamais s’être fermé de portes.
Et enfin, il y avait ceux qui savaient ce qu’ils voulaient individuellement, en leur cœur, mais qui devaient se plier au choix des parents, parce que c’est bien connu qu’à quinze ans, on ne peut pas savoir ce qui est réellement bon pour nous, et les parents sont là pour aider l’enfant à ne pas regretter ses choix, qui pourraient se révéler être les mauvais a posteriori ! Il semble que j’aie fait partie de ce groupe d’élèves.
Mes parents sont deux génies, brillants, qui ont su très tôt s’insérer dans la société, et de belle manière. Un père pilote dans l’aviation, une mère docteur en médecine, leur réussite académique et professionnelle ne faisait aucun doute et, comme beaucoup de fins observateurs de la société telle qu’elle est, et convaincus que leurs choix scolaires et universitaires ont été la clé de leur succès. Tous deux reconvertis dans l’Éducation nationale, ils étaient persuadés de bien faire en nous rabâchant (à ma sœur et moi-même), que le meilleur baccalauréat (voire les meilleures études) était scientifique, si possible avec le plus de mathématiques !
En classe de seconde, comme quasiment durant toutes mes années d’études (mises à part mes deux premières années en classes préparatoires), j’étais ce qu’on appelle une « bonne élève », félicitée à presque tous les conseils de classe, je caracolais en tête de classement (même si c’était interdit de le faire savoir dans les établissements hautement républicains que je fréquentais). Or, l’adage veut que les bons élèves, en plus d’étudier l’allemand, doivent faire un bac S… Ayant passé mes années de 3e et de seconde à écrire des poèmes, à découvrir l’art de la dissertation littéraire (dans laquelle au départ, et bien longtemps d’ailleurs je ne parvenais pas à rentrer dans le moule) le tout couplé avec à la fois ma découverte de la photographie et des études poussées au conservatoire en musique (j’avais fait le collège en classes à horaires aménagés musique, CHAM), j’avais un immense désir et intérêt dans la voie littéraire d’une part, et étais tout à la fois passionnée par la physique-chimie, la biologie et tout ce qui touchait aux sciences expérimentales (les mathématiques, je ne les ai comprises que tardivement, et c’est grâce à mes études en autodidacte de la logique, de la linguistique, que j’ai enfin pu accéder à la magie des mathématiques, qui sont un merveilleux outil). Je me trouvais ainsi, de par mes bulletins, capable d’être acceptée dans n’importe quelle filière, mais n’avais aucune envie de me retrouver en spécialité mathématiques d’une part et étais terrifiée par la clochardisation apparemment inéluctable de ma personne si je m’engageais dans la voie littéraire (je ne mentionne même pas la voie économique et sociale, car cela ne me parlait pas, c’était bon pour celles et ceux qui voulaient faire Sciences Po, quelle idée ! Haha, cela me fait bien rire lorsqu’aujourd’hui j’ai un diplôme de master 2 de l’IEP de Paris en poche…). De toute façon le doute n’était pas permis pour moi, que je le veuille ou non, il fallait et il fallut choisir la voie scientifique. J’obtins deux ans plus tard mon baccalauréat scientifique spécialité physique-chimie avec mention !
Une fois cette obligation remplie, il me semblait possible de négocier un peu plus aisément mon avenir, et pour les études supérieures, il m’a fallu rapidement (la réalité a été bien plus complexe que cela, mais là n’est pas le propos) trancher (et ce avant même l’obtention du bac), entre une classe préparatoire intégrée à l’École Nationale d’Aviation Civile de Toulouse, ou bien une classe préparatoire aux grandes écoles au lycée militaire de Saint-Cyr, il était bien évidemment hors de question d’aller à l’université, là où l’on ne fiche rien !
C’est ainsi qu’en août 2007, la distance géographique et le parcours des livrets académiques des deux formations ont eu raison de moi et me voici, à dix-sept ans, en treillis en train de jouer le rôle du petit soldat, crapahutant dans la boue en tentant de gérer mon incapacité totale à me soumettre à quelque autorité que ce soit ! Bien que l’enseignement en hypokhâgne et khâgne soit passionnant, la manière dont la formation se déroula ces deux premières années fut bien rebutante, mais au milieu de toutes les notions, concepts, bibliographies, khôlles, épreuves sportives, et microcosme totalement pervers, je me découvris une réelle passion pour les humanités, notamment pour la philosophie et une certaine forme de littérature.
Je ne sais pas si beaucoup de khâgneux ont fait le même choix que moi. Face au chaos dans lequel j’étais, je questionnais, tout comme lorsque j’étais enfant, j’interrogeais sans cesse les raisons, les causes des comportements humains mais aussi beaucoup cosmiques et spirituels. Dès que j’ai eu mon permis de conduire et mon automobile, je me rendais régulièrement, dans le plus grand des secrets à Chartres, ce n’était pas très loin. Et là-bas, j’allais à la cathédrale, j’arpentais inlassablement le labyrinthe dont j’avais lu l’histoire et les vertus dans un livre je crois, et je m’asseyais, j’attendais, parfois longtemps et je rentrais à l’internat… Je ne savais pas pourquoi j’avais besoin de cela, mais j’y retournais, encore et encore, si ce n’était pas là, c’était à Honfleur, sur la plage, j’y allais, je me baignais et attendais, là et lasse face aux usines du Havre… parfois c’était à Notre-Dame de Paris, j’ai appris à y aller aux heures « creuses », là où il n’y a pas de touristes, je m’avançais dans la nef, m’asseyais et là encore, j’attendais… Un jour, un ami me demanda ce que j’allais faire seule dans ces lieux, pourquoi j’y allais, pourquoi seule et surtout pourquoi j’y retournais. Ma réponse était simplement : « J’attends Dieu »… édifiant je trouve pour une gamine complètement matricée d’à peine dix-huit ans.
Tout ceci en guise d’introduction afin de contextualiser un minimum le cœur du propos de ce billet. Être khâgneuse avant 2010 dans un lycée militaire n’était vraiment pas chose aisée, surtout lorsque vous êtes pacifiste, antimilitariste, née outre-Méditerranée et d’ascendance africaine. Une chose qui m’a pourtant sauvée et beaucoup aidée, et cette chose je m’y raccroche encore aujourd’hui, c’est la littérature. Mais qu’est ce que la littérature concrètement ? Hé bien croyez-le ou non, la littérature c’est simplement ce qui est écrit. Point. Rien de plus et rien de moins !
Ce ne sont pas les livres, en tant qu’objets, qui m’ont aidée à me libérer, depuis mon plus jeune âge, qui libèrent ou enferment au quotidien. Bien que l’étymologie double du mot livre inclut le concept de liberté, ce n’est pas de cela dont je veux parler ici, mais bien de ce que contiennent les livres, car ils ne sont finalement qu’un support de quelque chose de bien plus vaste, de bien plus puissant : la littérature.
Toujours au Lycée militaire, dans ma chambre d’internat, que je partageais avec deux autres camarades, j’avais décidé de décorer et d’orner les murs de citations, non pas pour les apprendre par cœur et les recracher bêtement dans mes copies, mais bien parce qu’elles étaient inspirantes ! Depuis, j’ai vu ces dernières années une déferlante de posters et autres reproductions graphiques qu’il est de bon ton d’accrocher chez soi avec de belles phrases, généralement en anglais, même si elle n’étaient pas énoncées dans cette langue même a priori.
Parmi ces citations que je collais à mes placards entre 2007 et 2009, il y avait notamment cette phrase de Pessoa, à l’époque je n’avais rien lu de lui, et aujourd’hui je ne crois pas avoir lu quoi que ce soit de lui, mais la phrase, que j’ai certainement dû entendre dans la bouche d’un professeur de littérature ou de philosophie est restée à jamais gravée en moi, la voici :
« La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. »
Après de longues années d’études, dans divers domaines, après et durant une longue quête de sens, cette phrase résonne et raisonne encore fort en moi et me convainc que ma passion pour la philologie, la sémantique et la psycho-linguistique entre autres est un bon bagage pour l’artiste et la philosophe que j’incarne.
En effet, la littérature, c’est-à-dire, l’ensemble de tout ce qui est écrit, que ce soit une pièce de théâtre, une notice d’utilisation, une recette, un courrier, un poème, un article de journal, un pamphlet, une facture, un procès-verbal, un manifeste, une liste de courses, tout ce qui est écrit avec des lettres, est de la littérature ! Tout cela, est évidemment pour moi, comme pour Pessoa et tant d’autres avant moi, la preuve que la vie ne suffit pas.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé écrire, et parmi la longue liste des métiers que je voulais réaliser, la fonction d’écrivain a toujours figuré dans le peloton de tête. Aujourd’hui je ne sais pas vraiment ce qu’est un « écrivain », mais je me définis volontiers comme « écrivant ». Il est probable qu’un écrivain soit un écrivant professionnel, c’est-à-dire, non pas meilleur qu’un amateur (qui est celui qui aime, à ne pas confondre avec celui qui est moins bon qu’un professionnel, d’ailleurs je souhaite à tous les professionnels de quelque domaine que ce soit, d’être également, et surtout des amateurs !), mais donc l’écrivain serait un écrivant amateur qui se voit recevoir une rémunération pour ses écrits.
Écrire était donc, pour moi, un passe-temps privilégié et très apprécié. Bien que j’aie étudié, à travers les formations en histoire de la littérature (j’aime préciser que je ne me suis jamais vu enseigner ni la littérature, ni la philosophie dans les cours éponymes, au contraire, j’ai beaucoup appris – et peu retenu d’ailleurs – quant à l’histoire de la littérature et de la philosophie qui devraient être les véritables noms de ces matières scolaires, notamment dans le système éducatif français), j’avais donc beaucoup appris à commenter les œuvres littéraires, mais pas à en produire ex nihilo.
Je tenais donc chaque année ou presque un journal, dans un carnet ou sur des feuilles volantes, j’y exerçais et pratiquais finalement ce que j’avais étudié, notamment en matière d’écriture autobiographique, et expérimenté à travers la pratique de l'écriture automatique, à savoir : la catharsis.
Une des grandes vertus de la littérature, comme de toute expression artistique avec d’autres supports que les lettres, telles la peinture, les arts graphiques en général, la musique, la danse, etc. c’est la dimension cathartique. Cette vertu était fascinante à étudier pour l’adolescente que j’étais, alors en recherche active de solution ou de compréhension face à un mal-être indescriptible, que j’ai volontiers appelé « Spleen et Idéal » (saturnienne revendiquée, je me reconnaissais beaucoup dans le groupe des poètes maudits), qu’on pourrait aisément et plus prosaïquement intituler « bipolarité » aujourd’hui !
Il semblait évident que la catharsis accompagnait automatiquement la production de textes autobiographiques sincères et souvent douloureux pour les auteurs, je repense à un groupement de recueils que j’avais étudiés pour la préparation des épreuves du baccalauréat de français, parmi eux, ceux de Charles Juliet, Albert Cohen ou encore Hervé Bazin, avec respectivement Lambeaux, le Livre de ma mère et Vipère au poing.
Au-delà du fait que le fil rouge maternel ait un réel intérêt d’un point de vue psychanalytique et psychologique (je devais le découvrir plus tard), il semblait évident qu’écrire ces récits personnels, voire intimes d’une part, et les publier (au sens de les rendre publics), d’autre part a eu une véritable portée cathartique pour ces auteurs.
J’en veux pour preuve ma propre expérience (individualisme oblige). J’ai toujours écrit, plus ou moins assidûment, de manière plus ou moins logique et construite, mais l’écriture privée m’a toujours aidée, notamment à dépasser certaines bouffées d’angoisse liées bien souvent à des questions métaphysiques, existentielles que je n’arrivais pas à résoudre. Le temps s’en est chargé, évidemment associé à mon empirisme. Cependant, très peu de fois j’ai pu m’adonner à une écriture privée totalement libérée, car j’avais toujours craint qu’on découvrît ma littérature d’alors, et qu’on l’utilisât contre moi. Je vivais dans la peur permanente.
Étrangement la véritable portée cathartique dans tous les domaines d’expression que j’ai explorés, elle s’est réellement manifestée, non pas lorsque l’œuvre a été produite, mais lorsque je l’ai portée aux yeux du public, n’importe lequel, par différents canaux, mais j’ai mesuré et réellement expérimenté la purification, la rectification, à travers l’ouvrage artistique, uniquement lorsque celui-ci ne m’appartenait plus, lorsqu’il devenait indépendant et se séparait de moi. De là reste une phrase que je me répète sans cesse :
« L’œuvre d’art n’existe pas sans public »
Au-delà du fait que ce mantra en appelle à développer un comportement histrionique, il m’a toujours guidée, et je le comprends bien différemment aujourd’hui.
Ainsi, lorsque j’ai donné à lire certaines de mes réflexions ou poèmes à quelques professeurs intéressés, étant lycéenne, lorsque je publiais des articles et des illustrations photographiques de mes errements psychologiques sur mon tout premier blog (début des années 2000, les fameux Skyblog si vous avez connu!), lorsque j’ai publié en auto-édition (autonomie oblige) mon premier livre de sociologie illustrée (Femmes burlesques, 2015), lorsque j’expose mes photographies, lorsque je monte sur scène pour danser en public, pour chanter, pour jouer de la musique, pour prendre la parole, pour enseigner, converser, etc. C’est à chaque fois lorsque ma production est allée de moi à autrui que j’en ai récolté, finalement, le fruit cathartique a posteriori… Qu’on se le dise, ce fruit cathartique, il n’a pas toujours été digeste, parfois amère, acide, toxique même, il a pourtant parfois été doux et agréable…
La catharsis c’est "l’œuvre au noir", c’est le passage de la vision du monde en trois dimensions à celle supérieure, c’est l’évacuation de la bile noire, c’est la purification, par la demande de transmutation divine de ce que nous sommes.
En ce sens, la littérature, en tant que production écrite, émanant de nos pensées, qu’on y tienne ou non, peut être, dès lors qu’elle est donnée à autrui, extériorisée, une voie méthodique vers la catharsis.
La distinction que je réalise entre littérature privée et littérature publique est très simple. Je considère que la littérature publique est l’ensemble de l’écriture, qui lors de son élaboration a vocation à être rendue publique, à être présentée à autrui.
La littérature privée quant à elle est ce qu’on écrit et qui n’est pas destiné à être présenté à autrui. Souvent, on peut supposer que les écrits qui résident dans les journaux et carnets dits intimes sont de la littérature privée, or non, ou alors pas nécessairement.
En partant du postulat que « je est un autre », pour citer Arthur Rimbaud, écrire dans son journal, tout en sachant qu’on le relira ou bien que quelqu’un pourrait éventuellement « tomber » dessus (je pense notamment aux publications des pensées d’auteurs décédés, ceux-là avaient-ils prévu, autorisé de leur vivant qu’on dévoile ainsi leur intimité ?), dans ce cas, ce n’est pas de la littérature privée.
Considérant, et ayant constaté que seule la littérature publique a une véritable portée cathartique, considérant également qu’il y a toujours un « autre » qui est présent, j’en conclus que toute écriture, a une vertu cathartique si tant est qu’elle transcende la matière.
Pratiquante et passionnée d’ascétisme, je sais que cette voie du fakir nous fait nécessairement accéder à plus grand que nous, à condition qu’on gomme notre orgueil et accepte de communier avec notre noble petitesse. La catharsis se révèle ainsi être une pratique des plus indispensables à tout alchimiste, à tout humain désireux de découvrir ce qu’il y a au-delà de la matière et à décoder l’esprit et entrer dans le royaume de l’âme.
Depuis que j’ai mis un mot ces dernière années sur ce qui m’animait la majeure partie du temps, à savoir l’étude des mots, de leur sens et de leur quintessence, de la magie des langues, etc., j’ai songé à un des rares livres de Jean-Paul Sartre que j’aie dans ma bibliothèque, il s’agit d’un récit autobiographique intitulé Les mots, 1964. En le relisant je suis tombée sur une phrase qui résume très bien mon propos ici :
« Je devins cathare, je confondis la littérature avec la prière, j’en fis un sacrifice humain. »
Sans entrer ici dans le détail de l’interprétation de cette magnifique phrase (tout ce qui précède cette citation en est une forme d’explication), je ne peux que la juxtaposer à celle de Pessoa pour en faire un début de manifeste :
« La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. Je devins cathare, […] confondis la littérature avec la prière, [et] en fis un sacrifice humain. »
En effet, la littérature, pour moi est un ensemble de symboles très puissant, par lequel peut se formuler, et se formule d’ailleurs particulièrement chez moi la prière, cette demande à plus grand que soi, et c’est ce que je considère parmi les choses les plus sacrées dans l’exercice de mon humanité. La littérature est transcendante, par son immanence, alors, je deviens donc également cathare.
Que la paix soit sur vous,
حبيبة
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